2024
18 Juillet > 04 Août

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2005

Salle des Fêtes
ROY HAYNES
ROY HAYNES
Session de printemps

A 80 ans, Roy Haynes est l’un des grands batteurs de jazz encore vivant. Après avoir accompagné les plus brillants leaders (Lester Young, Charlie Parker, Thelonious Monk, Sarah Vaughan, Miles Davis…), cela fait maintenant plus de vingt cinq ans que Mister Haynes présente ses propres formations avec un goût très sûr dans le choix des musiciens qui l’entourent. Le quartette de ce soir ne déroge pas à la règle : Martin Bejerano au piano, John Sullivan à la contrebasse et le nouveau prodige du saxophone : Marcus Strickland.

Acteur prépondérant de l’évolution du jazz dans la seconde moitié du vingtième siècle, Roy Haynes reste un perpétuel découvreur de talent : Ralph Moore, Ed Howard ou le pianiste David Kikoski qui lui est resté fidèle depuis le milieu des années quatre vingt. Aujourd’hui, c’est Marcus Strickland, un saxophoniste de vingt six ans, qui est propulsé sur le devant de la scène. Ce jeune ténor s’est classé troisième à la Thelonious Monk Compétition derrière Seamus Blake (présent l’an dernier sur cette même scène aux côtés de Dave Douglas) et John Ellis dont on peut apprécier les prouesses sur le dernier album de Charlie Hunter : « Friends Seen And Unseen », Ropeadope, 2004. Dès le début du concert, Marcus Strickland fait honneur à sa flatteuse réputation. Ses interventions sur « Diverse » sont époustouflantes et rendent un bel hommage à « The Bird ». Ensuite, c’est avec une certaine aisance qu’il quitte l’univers de Charlie Parker pour s’attaquer à un thème de Wayne Shorter. Sur « Fee-Fi-Fo-Fum », il magnifie le jeu du ténor qui reste l’une de ses principales influences. Pourtant, à en croire ses confessions relevées par Vincent Bessières dans « Jazzman » (numéro 112, avril 2005), le jeune homme semble beaucoup plus préoccupé par son propre cheminement que par la comparaison avec ceux qui l’ont précédé.

Marcus Strickland relève tous les défis de ce répertoire bop très exigeant mis en place par Roy Haynes. Mais il serait faux de croire que le jeu du ténor se situe très avant de ce quartette. Bien au contraire, la formation se laisse emporter par le mouvement et chaque musicien nous donne, le pianiste surtout, quelques uns de leurs plus beaux solos. De son côté, Roy Haynes témoigne à ses solistes une complicité discrète. Il faut savoir écouter son « drumming » pour en découvrir toutes les richesses : un jeu tout en nuances, un « feeling » délicat, une grande variété aux cymbales, une musicalité et une sensualité extrême gages de grande qualité. Sur un titre de sa propre composition (« True or False »), l’artiste démontre que, par expérience, il sait exploiter toutes les ressources de son instrument. Il faut aussi saluer l’intelligence de son répertoire. Un choix, qui part de Charlie Parker pour s’achever avec Thelonious Monk « Green Chimneys ». Ce concert est ponctué par un point d’orgue : une superbe interprétation de « Naima » (John Coltrane), où Marcus Strickland, abandonnant l’espace d’un instant le ténor pour le soprano, se révèle une fois de plus particulièrement brillant. D’ailleurs, il nous fait penser dans ce registre à un certain Branford Marsalis.

Avec ce quartette (sa formation favorite), Roy Haynes a redéfini son rôle de leader le temps d’un concert captivant. Dans un monde du jazz où aujourd’hui on ne trouve guère de vétérans pour jouer les parrains, saluons la générosité d’un pionnier de la scène be-bop qui malgré son âge dispense toujours son savoir à de jeunes musiciens par le biais de formations bien rôdées. Pour chacun d’entre nous et quelques soient nos activités, ceci est un exemple à suivre. Au fait, saviez-vous que Marcus Strickland avait un frère jumeau qui joue de la batterie ? Il jouera cet été au festival Jazz in Marciac aux côtés de Ravi Coltrane le Mardi 09 Août.

Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux