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2006

Salle des Fêtes
TERENCE BLANCHARD
TERENCE BLANCHARD
Session de printemps

La rareté des prestations scéniques de Terence Blanchard risquerait de nous faire penser que ce trompettiste Néo-Orléanais n'est que le compositeur des musiques de films de Spike Lee (Malcom X, She Hate Me... et dernièrement Inside Man). Pourtant, c'est bien lui le successeur de Wynton Marsalis au sein des Jazz Messengers d' Art Blakey. Il en a même assumé la direction musicale pendant plusieurs années. Dès 1983, il se retrouve coleader, avec Donald Harrison, d'un quintette qui acquiert très vite une grande renommée. Ce succès lui a permis de développer une carrière solo particulièrement intéressante entre son travail pour le cinéma et ses obligations institutionnelles à l'Université de Californie. En outre, Terence Blanchard a toujours fait preuve d'une grande sûreté de jugement dans le choix de ses partenaires. Le quintette qu'il nous présente ce samedi 13 mai à Marciac ne déroge pas à la règle. Remarquable par sa cohésion, il compte dans ses rangs de brillants éléments : Brice Wiston (saxophone), Aaron Parks (piano), Derrick Hodge (basse), Kendrick Scott (batterie).

Signé du pianiste Aaron Parks, le thème d'ouverture (Asha) donne le ton : paire rythmique excitante et juvénile, ténor saignant à l'articulation limpide, utilisation parcimonieuse du synthétiseur, justesse des "samples", phrasé sûr et tranquille de la trompette. Mais la musique proposée ce soir porte surtout la marque de Blanchard. L'exceptionnelle écriture des pièces issues de son dernier album (Flow, Blue Note, 2004) nous fait définitivement admettre que le prodige de New Orleans a une facilité assez déconcertante pour les arrangements musicaux (Fred Brown). Il se dégage de tous ces titres une atmosphère légère et planante qui laisse beaucoup de place aux "sidemen" pour s'exprimer. Le saxophone (plus souvent ténor que soprano) de Brice Wiston se joue avec un à-propos incisif de ces invites ludiques proposées par la rythmique. Terence Blanchard réponds, lui aussi, à ces motifs mélodiques répétés obstinément par son quintette. Il prend son temps, son jeu est détendu, chaque note étant sculptée et modelée par un contrôle époustouflant de la trompette. Les interventions d'Aaron Parks sont aussi imprévisibles que pertinentes. Il rejoint ici et là les deux cuivres sans jamais se mettre dans leurs pattes.

Lors du second set, Terence Blanchard multiplie les influences. Tout d'abord, une touche d'électronique vient teinter "Transform", le thème d'Eric Harland, son précédent batteur. Ensuite, les arrangements suaves et opulents de "Footprints" sont, bien évidemment, une évocation de Wayne Shorter, lui aussi un ancien Jazz Messenger. Et pour finir, le trompettiste se glisse dans les interstices de la musique africaine sur "Wadagbe" de Lionel Loueke. Ce sensationnel chanteur et guitariste béninois est présent sur le dernier album de Blanchard, malheureusement, il est absent ce soir. En effet, sur le disque "Flow", Loueke apporte son impréssionnante contribution vocale. Et pour ceux qui regrettent de ne pas avoir pu apprécier ses qualités lors de ce concert, sachez qu'il sera aux côtés d'Herbie Hancock le Mardi 1er Août pour le 29ème festival de Jazz in Marciac. Terence Blanchard sera lui aussi de la partie mais le 9 Août juste avant la prestation de The Marsalis Family Band. Entre parenthèses, cette soirée risque de sentir bon la Louisiane et je ne vois pas comment Blanchard pourrait s'empêcher de venir faire le boeuf avec les Marsalis. N'oublions pas qu'Ellis fut son professeur de musique, que Wynton est un ami d'enfance et que Branford a joué sur son album "Wandering Moon" (Sony, 2000). Vivement cet été!

Pour le rappel (Harvesting Dance), Aaron Parks claque quelques accords "latino" entre les "samples" électroniques. Ce dernier morceau résume bien l'état d'esprit de ce concert. Terence Blanchard mélange les genres avec une rare élégance et sans abuser des effets. Nous avons assisté à près de deux heures d'une musique prenante et variée au cours desquelles le trompettiste nous a ébloui par son sens des nuances.

Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux