2024
18 Juillet > 04 Août

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2009

Salle des Fêtes
PHIL WOODS
PHIL WOODS
Session de printemps

Terrassé par une crise cardiaque le 25 juillet dernier, Johnny Griffin s’en est allé. Présent aux moments décisifs de l’histoire du jazz (aux côtés d’Art Blakey en 1957, Thelonious Monk en 1958, Wes Montgomery en 1962…), celui que l’on appelait affectueusement « Little Giant » passait souvent à l’arrière-plan, derrière un Rollins ou un Coltrane. Pourtant, il leur disputait assurément la première place dans le cœur des amateurs de Jazz. Phil Woods fait partie de ces musiciens qui lui sont redevables tant son jeu porte la griffe du maître. Avec un trompettiste très cultivé question standards et un trio rythmique qu’il faut bien qualifier d’épatant, la formation de ce soir paie son tribut à Johnny Griffin, ce géant du saxophone dont l‘extrême virtuosité pouvait cacher la profondeur de son discours.

Le concert débute par « A Monk’s Dream », un choix plus que logique quand on sait que c’est Thelonious Monk qui fut le premier à apprécier Johnny Griffin à sa juste valeur. Par cette ouverture, « Phil Woods and Johnny Griffin’s friends » nous replongent dans l’univers bebop de la fin des années 50, époque de la collaboration marquante entre le pianiste-compositeur et « Little Giant ». D’ailleurs, Johnny Griffin a toujours eu un rapport particulier avec les pianistes, Monk bien entendu, mais aussi Bud Powell dont il était très proche et Hervé Sellin en Europe, son complice quasiment attitré du Petit Opportun. Le pianiste français est présent ce soir sur la scène de Marciac pour lui rendre hommage. Remarqué au festival Jazz in Marciac par Wynton Marsalis, Hervé Sellin a récemment signé un très bel album qui embrasse Marciac et New-York dans un même mouvement. Pour honorer la mémoire de Johnny Griffin, il nous délivre, avec une belle luminosité, quelques très bons solos dont aucun ne nous laisse indifférents. On y trouve un swing irrésistible mais aussi une mélodie dont la ligne s’impose constamment. Comme l’a souvent dit Johnny Griffin, tel un leitmotiv, les maîtres mots pour le concert de ce soir sont : « swinguer d’abord » !

Woods l’altiste se mesure à Griffin le Ténor. Il mène la formation dans un tourbillon de compositions du « Little Giant » : The Jamfs Are Comin’ ; When We Were One ; Griff’s Groove ; Fifty-Six… Certes, le vibrato du saxophoniste est aujourd’hui quelque peu chevrotant mais il reste éblouissant de maîtrise et d’émotion. Il exerce, en bonne compagnie, son talent parfaitement épanoui. Brian Lynch à la trompette se présente sous son plus beau jour. Comme Johnny Griffin, il possède un sérieux bagage technique qui lui permet d’aborder les configurations harmoniques et rythmiques les plus périlleuses. Jesper Lundgaard et Douglas Sides font preuve de subtilité mais aussi d’énergie et de dynamisme avec à-propos. Même jubilation de jouer, même mordant, même goût du swing, ce sont sans conteste de vrais jazzmen qui s’expriment ce soir. Une petite merveille d’équilibre et de complicité pour rendre le plus bel hommage qui soit à Johnny Griffin. Phil Woods est un vrai amoureux du jazz, « le bon petit soldat du jazz » comme il aime se décrire en public avec sa modestie et sa lucidité. Il est voué à un lyrisme fait de swing qui ne se dément pas ici. C’est aussi l’un des héritiers directs d’une époque dont les témoins commencent à disparaître et il est de ceux qui ont poursuivi l’aventure avec un panache rare. Le même que celui de Johnny Griffin.

Cela aurait pu n’être qu’une séance sans passion , mais ce serait sous estimer l’influence qu’a pu avoir Johnny Griffin sur les musiciens présents ce soir. L’homme, d’une discrétion exemplaire, était infiniment respecté car il cachait son élégance et sa profondeur derrière une inaltérable joie de vivre qui se ressent dans sa musique. « Phil Woods and The Johnny Griffin’s friends » ont parfaitement su retranscrire cela. Et nous, on se laisse emporter et l’on tape du pied sans même s’en rendre compte. Un grand moment de swing et de « real jazz ». Pourvu que ça dure ! Knock on wood(s) !

Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux