2025
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2010

Salle des Fêtes
Mulgrew Miller
MULGREW MILLER & STEVE NELSON
Session d'hiver

On le sait, Mulgrew Miller est un vieux briscard du clavier - n’a-t-il pas accompagné Art Blakey, Betty Carter, Mercer Ellington et Woody Shaw ? Mais il est aussi un compositeur fin et brillant, un leader lumineux et percutant. Le format du trio est le plus propice à le mettre en valeur mais ce soir, il enrichit sa formation avec Steve Nelson au vibraphone qui a fait les beaux jours du quintet de Dave Holland. Le pianiste et le vibraphoniste proposent ainsi au public un répertoire adapté à leurs sensations communes avec des reprises de Duke Ellington et Thelonious Monk. Cette rencontre dans l’ambiance ô combien stimulante de Marciac risque de tourner au feu d’artifice...

Dès les premiers thèmes (If I Should Lose You - Milestones), Mulgrew Miller aborde avec assurance ses responsabilités de leader. Son trio déborde de musicalité et d’idées neuves, la mélodie n’est plus un sujet d’inquiétude pour qui déploie tant de maîtrise. Le toucher léger du pianiste, sa sensibilité aiguisée lui confèrent une distinction particulière. Il traduit en musique ses émotions, ses sentiments avec un art consommé. Cette sûreté rythmique reste le facteur déterminant pour embraser le bassiste Ivan Taylor et le batteur Rodney Green qui n’en attendaient pas moins de leur patron pour monter au créneau. Comme beaucoup d’autres musiciens qui ont œuvré comme accompagnateurs, Mulgrew Miller garde une grande humilité sur scène alors qu’il est un pianiste exceptionnel. Ainsi, il reste toujours particulièrement attentif à ses partenaires, parfois jusqu’à l’effacement. Ivan Taylor en profite pour produire une forte pulsation et quand il fait « rouler » sa basse, sa connaissance en matière de changement d’accords est réellement impressionnante. Quant à Rodney Green, il a une grande importance au sein du trio, il fournit un soutien rythmique très solide et un son bien à lui. Le pianiste et son groupe produisent ainsi un délicieux mélange d’intensité et de légèreté jusqu’à l’entrée en scène du vibraphoniste Steve Nelson.

Le vibraphone est un instrument rare dans le contexte du jazz. Même s’il s’est peu à peu imposé en tant que voix soliste et mélodique, un bon nombre d’auditeurs le considèrent encore comme un instrument utilisé surtout à des fins rythmiques voire décoratives. Sa sonorité métallique et cristalline amplifiée par sa résonnance en a dérouté plus d’un. Ceci explique en partie que le succès des vibraphonistes dans le jazz soit resté plutôt confidentiel. Pourtant, Steve Nelson fait entendre lors de ce concert un vibraphone original qui cherche à s’émanciper de la tutelle de Milt Jackson. Il s’impose comme un spécialiste des nuances sonores et des subtilités harmoniques. Virtuose des mailloches, il percute mélodiquement sur ce cousin du piano dans une dynamique vivace et pleine d’imagination. Il s’avère être un musicien d’une grande rigueur et d’une sensibilité touchante. Ses qualités de souplesse et d’invention ressortent avec prégnance et le jeu de l’évocation se colore de tons particulièrement subtils. Il est secondé par un pianiste remarquable et deux autres complices qui mettent tout leur talent et leur énergie en jeu. Avec l’arrivée du vibraphoniste, Mulgrew Miller pratique un swing plus direct sans qu’en pâtisse la richesse harmonique de son discours. Avec cela, c’est un accompagnateur attentif, stimulant, habile à soutenir et relancer les chevauchées vertigineuses d’un vibraphoniste au mieux de sa forme.

De cette rencontre il se dégage une réelle complicité. On y trouve un côté percussif de personnalités musicales très tangibles. Le swing et le bop apparaissent comme les dénominateurs communs de leur musique. Il y a là un véritable plaisir de provoquer l’échange, de fouiller les thèmes pour dépasser les évidences. Mention spéciale à « Around Midnight » avec un final où se mélangent phrasés de jazz et rythmes latins. A l’instar de cette splendide version du chef d’œuvre de Monk, la confrontation des deux virtuoses est souvent génératrice de moments de grâce. On retiendra alors le témoignage d’un très beau concert.

Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux