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2005
Samedi 26 février. Pas moins de dix-huit musiciens dont cinq trompettistes viennent célébrer la musique de John Birks, plus connu sous le nom de Dizzie Gillespie. Co-fondateur du be-bop avec Charlie Parker, « Dizz » est considéré par Woody Herman (musicien, compositeur et chef d’orchestre américain) comme le second géant de la trompette jazz après Louis Armstrong. Sur scène, il a souvent adopté un jeu spectaculaire, un doigté jusqu’alors jamais vu accompagné d’un souffle qui lui permet de tracer d’incroyables arabesques. Ce soir, c’est au Gillespiana Be Bop Orchestra de perpétuer cette tradition. Cet ensemble a pour ambition de nous délivrer un be-bop dans ce qu’il a de plus incandescent : the show must go on !
Le concert débute avec deux titres incontournables de l’œuvre de Dizzie Gillespie : Salt Peanuts et Groovin High. Sur ces deux compositions de « Dizz », l’excentricité des premiers solos traduit les innovations parfois déroutantes du be-bop : la couleur est annoncée, la formation de ce soir est exclusivement dédiée à la musique de ce grand maître du jazz. Dans une fidèle relecture d’Algo Bueno, toutes les trompettes se lèvent et avancent sur le devant de la scène, leurs phrasés se croisent et nous rappellent à quel point Gillespie pouvait être à l’aise dans les aigus de l’instrument. Dans ce registre, le choix de Lew Soloff en tant que « special guest » se révèle particulièrement pertinent. Son exceptionnelle maîtrise de la trompette l’amène à créer des harmonies insolites lors de son solo sur I Waited For You. Ce musicien iconoclaste et touche-à-tout (be-bop, latin jazz, jazz rock, jazz funk…) s’affirme comme l’un des trompettistes les plus brillants du jazz des années 70 et 80. On se souvient de son mémorable chorus en longues phrases sur une version fleuve de Pick Up The Pieces un soir d’été 1977 à Montreux aux côtés des frères Brecker, Joe Farrell et Herbie Mann. Sa virtuosité naturelle complète idéalement un Gillespiana très efficace qui, de ce fait, obtient un maximum de rendement en terme d’esthétique.
Le début de la seconde partie se réfère davantage aux climats de la musique latine. Avec une interprétation magistrale de Manteca, on se rend compte de l’affection particulière que Dizzie Gillespie portait pour les rythmes afrocubains et latins. Il se plaisait à introduire ces couleurs dans le style be-bop. Dans un tel contexte, les présences de Roberto Pla et de Satin Singh aux percussions ouvrent considérablement l’espace rythmique du Gillespiana. Petit à petit, le concert prend une tournure un peu plus classique avec des titres que « Dizz » a écrit en collaboration avec Walter Gil Fuller comme Things To Come entre autres. Ce compositeur américain aide Gillespie en 1946 à organiser son grand orchestre et lui écrit plusieurs arrangements dont le célèbre One Bass Hit qui met en valeur les poussées véhémentes de la trompette de « Dizz ». Ce titre est également repris ce soir par le Gillespiana Be Bop Orchestra. L’arrangeur Alan Prosser a su rester fidèle à l’organisation de Walter Fuller : son orchestration est à la fois logique et atypique. La mise en place de cette œuvre se fait à partir de la section des trompettes qui construisent des systèmes d’échos mettant ainsi en relief le solo de Lew Soloff. Peter Long à la direction et au saxophone fait preuve d’un étonnant dynamisme. Sa prestation scénique est énergique mais son chant ne peut rivaliser avec celui d’un Dizzie Gillespie inspiré par Cab Calloway et Fats Waller.
Comme dans tout big band qui se respecte, les différentes sections de cuivres alternent leurs chorus. Mais c’est véritablement la qualité du jeu de Lew Soloff qui réussit à faire revivre par instants les sons be-bop de la grande époque. Il apporte ce qui fait trop souvent défaut aux meilleurs orchestres de ce style de jazz : un sens aigu du placement de la mélodie entre les différentes ruptures. Dizzie Gillespie aurait certainement apprécié revenir à l’endroit qu’il avait luimême baptisé « Little Village » pour la postérité afin de constater que l’esprit de sa musique perdure à Marciac.
Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux