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2004

Salle des Fêtes
KENNY WERNER
KENNY WERNER & GARY BARTZ
Session de printemps

Samedi 8 mai 2004, Marciac accueille l'un des musiciens les plus respectés de l'univers du Jazz : le pianistecompositeur-arrangeur Kenny Werner qui s'est d'abord fait connaître comme accompagnateur d'Archie Shepp, Charles Mingus, Lee Konitz, Tom Harrell ou Toots Thielmans, pas moins! Désormais, en solo ou en trio, comme ce soir, ce "jazzman" virtuose se révèle être un artiste aussi subtil qu'audacieux.

Passionné de musique classique pendant sa scolarité, Werner aime la discipline. Cette rigueur, il l'applique dès le début du concert sur "Bach's Silicienne" : intro fleuve mélodique au piano, entrée en jeu de la contrebasse de l'allemand Johannes Weidenmueller, suivi de près par la batterie d'Ari Hoenig. La mise en place de ce titre se fait avec une facilité déconcertante comme en témoignent la cohésion et la maturité de la formation. Soudainement, c'est la rupture ! Le pianiste s'autorise une échappée fulgurante, Werner flirte avec les dissonances sans jamais rompre la cohérence mélodique de l'ensemble. Sa virtuosité lui permet de s'écarter de ce prélude de Bach pour une phase d'improvisation où le jazz prend le dessus. On passe de l'inspiration classique à l'excentrisme maîtrisé sans aucune résistance. Avec sa science de l'harmonie, il arrive à faire varier le morceau à sa guise. La magie du maître opère et ses "disciples" le suivent de près : le trio alterne méticuleusement les passages libres et les séquences écrites. L'interaction entre les différents acteurs fonctionne parfaitement. Les hommes ne cessent de s'observer et Werner s'amuse à prendre ses collègues à contre-pied, à les embarquer dans ses envolées lyriques. Weidenmueller et Hoenig répondent immédiatement à ses idées : la basse stabilise et tient le cap tandis que le batteur virevolte avec le piano en sollicitant au maximum ses cymbales. La combinaison est remarquable et l'on se laisse séduire jusqu'à la fin de cette première partie ; les titres défilent sans que l'on se rende compte du temps qui passe : "Chah", "Jackson five", "Fau" "en passant par les troublants hommages à Monk "Amonkst" et Bill Evans "Nardis".

Changement de décor pour la seconde partie : le trio se transforme en quartette avec l'arrivée de Gary Bartz ! La musique change également de couleur. La présence du saxophoniste alto et soprano marque de son empreinte le répertoire et les sons : "Fefi Fofu" de Wayne Shorter, "Soul Eyes" de Mal Waldron, "Moment's Notice" de John Coltrane...on retrouve là son goût pour les oeuvres construites de l'après-Bop. Gary Bartz a joué auprès de nombreuses sommités telles que Max Roach, Art Blakey, McCoy Tyner ou Miles Davis...Il s'affirme comme leader dès 1967, en enregistrant plusieurs albums sous son nom ("Libra" ; "Another Earth"...) ou à la tête de l'ensemble Ntu Troop en 1973 au sein duquel il cherche à réaliser une synthèse de la musique africaine. Par la suite il multiplie les collaborations (Al Foster, Kenny Baron, Shirley Horn, Roy Hargrove...) et enregistre d'autres albums en quartette "Moonsoon" (1988) ou à la tête de son propre quintette "West 42nd Street" (1990). A la vue de ce parcours étoffé, la seconde partie du concert laisse envisager de belles promesses. Certes, la transition est surprenante mais le style foisonnant de Bartz s'accommode plutôt bien avec la fraîcheur et la spontanéité du trio de Kenny Werner. L'altiste utilise les sonorités graves de son instrument et son phrasé acrobatique inspire particulièrement Ari Hoenig, excellent à la batterie lors de solos physiques et rageurs. Ce dernier exerce à l'aide de son coude gauche des pressions sur les peaux de ses tomes qui lui permettent de les détendre afin d'obtenir des sons distendus qui nous font penser aux percussions africaines. Dans ce contexte, Werner continue ses libres improvisations mélodiques sans jamais se laisser aller à la démonstration : son toucher reste moelleux et contenu.

Le concert se conclut par une composition de Gary Bartz "Uncle Bubba" tirée de l'album "Moosoon". Suivent ensuite les longues acclamations d'un public qui se lève spontanément pour réclamer un rappel. Les artistes ne se font pas longtemps prier et entament un air de blues qui résonne encore dans nos têtes. Nouvelle "standing ovation"! Le mot de la fin revient à un Gary Bartz ému :

C'est la quatrième fois que je viens à Marciac et à chaque nouvelle prestation, le tempo est meilleur !

Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux