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2007

Salle des Fêtes
KENNY BARRON
KENNY BARRON
Session de printemps

Avec le virtuose Kenny Barron, Jazz in Marciac à l'honneur d'accueillir pour sa première session de printemps l'un des plus grands pianistes de tous les temps. Depuis qu'il est entré en 1962 dans le quintette de Dizzie Gillespie, son ascension, lente mais inexorable, l'a conduit à un sommet. Kenny Barron a d'abord côtoyé le gotha du jazz pendant plus de quarante ans (James Moody, Lou Donaldson, Lee Morgan, Freddie Hubbard, Stanley Turrentine, Stan Getz...). Il a donc accompagné une foule de musiciens, s'adaptant à chaque contexte avec un métier impressionnant, laissant derrière lui une oeuvre discographique exceptionnelle par sa qualité (Live At Bradley's, Sunnyside, 2002 - Live At Maybeck Recital Hall, Concord Jazz, 1990...). Ce soir, Kenny Barron se présente comme le dépositaire d'une certaine tradition du piano jazz moderne avec dans les rôles du contrebassiste et du batteur : Kiyoshi Kitagawa et Francisco Mela. Le trio a comme seule et même ambition de donner à entendre le meilleur Jazz possible !

Des complices, Kenny Barron n'a jamais eu de mal à en trouver tant son carnet d'adresse est bien rempli. Ce n'est pas un problème pour ce pianiste de jouer avec toutes les générations à partir du moment où il s'agit bien de jazz. Cette fois, il fait appel à la jeunesse de Francisco Mela pour accompagner la tournée du trio. Et ce n'est pas le moindre talent du batteur cubain de savoir se glisser dans ce monde, y prendre la parole avec autorité, y dialoguer avec un maître de l'envergure de Kenny Barron. On peut lui reprocher de frapper parfois un peu fort mais quel show man : il se lève de sa chaise pour donner de grands coups de baguettes, étouffer le son des cymbales avec les coudes ou les paumes de ses mains. Le batteur est sur un nuage, il prend beaucoup de plaisir à jouer au côté de Kenny Barron et ça se voit! Encore une fois, le miracle se produit lors d'un concert où l'on oublie les différences d'âge et de parcours. Francisco Mela et Kiyoshi Kitagawa sont bien les interlocuteurs parfaits d'un pianiste qui s'impose aujourd'hui comme un indispensable conteur de belles histoires de swing. Sur un répertoire de très beaux thèmes, de Monk et de Gershwin, admirablement choisis, Kenny Barron déploie ses multiples talents : mélodies déroulées avec une évidence désarmante, développement harmonique raffiné, formules rythmiques inattendues, sans se départir d'un fort attachement au swing. Cette première partie de concert dégage une impression de naturel et d'assurance qui sont la marque d'un savoir-faire et d'une expérience de haut vol. Kenny Barron nous livre ici une sorte de quintessence de son art, qui allie l'héritage du piano "bop" aux trouvailles les plus étonnantes du jazz moderne.

Le second set est l'occasion de confirmer l'excellence d'un trio sans pareil qui allie classicisme et modernité. "Ask Me Now" de Thelonious Monk, met en valeur le jeu délié de Kenny Barron, d'une parfaite limpidité et d'une rare plénitude harmonique. Sur "Embraceable You" de Georges Gershwin, se mêlent rigueur et liberté, élégance et puissance. "Sunshower" et "Marie Leaveaux", dus à la plume du pianiste, illustrent son goût pour les belles mélodies avec des solos de piano méditatifs. Dans un hommage appuyé à Monk ("Well You Needn't" ; "Blue Monk"), il propose un jazz dépoussiéré : vélocité contrôlée, aisance rythmique, accords parfaits et main droite déliée. Les deux autres membres du trio concourent pleinement à la réussite de ce concert. Bien secondé par Francisco Mela et Kiyoshi Kitagawa dans leurs rôles d'accompagnateurs, Kenny Barron n'est pas homme à jouer pour ne rien dire non plus qu'à se livrer aux facilités de l'exhibitionnisme. Son dialogue avec le contrebassiste dans "And Then Again" offre un exemple de sa capacité à rebondir sur les phrases de son interlocuteur pour en prolonger et infléchir le discours. On assiste alors à une expression musicale proche de la perfection servie par deux musiciens impeccables, constamment stimulant pour le pianiste. Précision dans l'exécution instrumentale, homogénéité de la formation, comparses embarqués dans l'élan d'une fougue certaine : l'orchestre tourne à plein régime quel que soit le thème joué. Evidemment le public répond ! Kenny Barron est roi par la qualité de son écoute et de son soutien.

Un seul bémol : le son de la contrebasse. Kiyoshi Kitagawa parut mal à l'aise tout au long de la première partie. Il est vrai que pour les spectateurs, il était difficile de dissocier toutes les notes aigues de l'instrument. Problème de micro sans aucun doute. Ce concert nous laisse alors une impression frustrante, celle de n'avoir pu apprécier toutes les facettes du jeu de Kiyoshi Kitagawa. Pour autant, la compatibilité musicale des trois partenaires n'est pas à remettre en cause. Bien entendu, on pourra s'amuser à chercher dans cette prestation des imperfections ou souhaiter plus d'ouverture et d'imprévu. Mais faut-il pour autant bouder son plaisir d'admirer une fois encore le toucher bien pesé du pianiste? Faut-il faire la fine bouche devant l'énergie déployée par le trio? L'assimilation de la tradition tout en s'éloignant des conventions du jazz, l'art d'exposer les thèmes, la parfaite cohérence de la rythmique, autant de qualités parfaitement irréfutables qui se déploient avec une telle maestria que l'on aurait tort de négliger les deux belles heures de musique qui ont constituées ce concert.

Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux