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2012

L'Astrada
JACKY TERRASSON
JACKY TERRASSON
Session d'hiver

Avant ses 42 ans, Jacky Terrasson ne s’était jamais lancé dans l’exercice difficile du piano solo. Il est vrai que les exemples de ceux qui ont réussi à franchir ce cap sont écrasants et peuvent impressionner : Thelonious Monk, Bill Evans, Keith Jarrett, Brad Mehldau. Entre-temps, Jacky Terrasson a enregistré « Mirror » (2007 – Blue Note/EMI), un album solo majeur qui a placé le pianiste franco-américain dans le peloton de tête des pianistes de jazz actuels. Ce samedi 28 janvier 2012 à L’Astrada Marciac, le voici de nouveau au piano solo pour tester l’acoustique de notre nouvelle salle de spectacle.

Dès son entrée sur scène, on sent que Jacky Terrasson est confiant et serein : il va se passer quelque chose de fort, c’est certain ! Les premières notes confirment cette impression. Le pianiste est visiblement heureux de jouer, dans son corps et dans sa tête, sûr de s’être donné la technique nécessaire pour faire chanter son piano. Il est ouvert à ce qui lui vient à l’esprit sur le moment. Pour entrer directement dans le jeu, il prend « Smile », le titre éponyme de son album (2002 - Blue Note) qui a connu un énorme succès dans l’Europe entière. Quoi de mieux pour se sentir encore plus à son aise ? Jacky Terrasson déploie ainsi tout son savoir faire, balaie le champ de ses influences, glisse quelques pointes de malice entre les lignes, avec l’assurance de ceux qui connaissent leur métier sur le bout des doigts. L’artiste signe le désir de ne pas s’enfermer tout en maintenant le cap sur une jubilation constante et intellectuellement effervescente. Cette volonté d’aller de l’avant se concrétise par d’étonnants medleys allant de « Beat It » à « Over The Rainbow », en passant par « Just A Gigolo » et « La Marseillaise ». Entre la reprise d’un thème aussi éculé que « Autumn Leaves » et l’accélération inédite de « Gaux Girl », il y a le fil d’un pianiste qui sait quasiment tout faire et dont on sent que la passion du jazz est devenue une raison de vivre.

L’introduction de «Gaux Girl» est jouée dans un style qui évoque celui de Keith Jarrett dans «Take Me Back». Le swing est contagieux, comme il le sera tout au long du morceau : c’est un boogaloo de la meilleure veine ! Sur ce titre, le toucher du pianiste est tour à tour délicat et puissant. Il développe un jeu plein, énergique, servi par une main droite à toute épreuve, passant avec une stupéfiante aisance de la finesse suggestive au groove funky. L’indépendance de ses deux mains lui autorise tous les contrastes : du grand art ! On revient à plus de classicisme avec les «Feuilles Mortes» (Autumn Leaves). Cette reprise instrumentale de la chanson de Jacques Prévert et de Joseph Kosma est superbe. A l’exercice du piano solo, il ne cherche pas seulement à nous séduire par les notes les plus belles afin de mettre en évidence la poignante nostalgie de la mélodie, il aime aussi nous surprendre en démontant ce standard pour le reconstruire à sa façon. Quand il se retrouve seul, le pianiste a une fonction naturellement orchestrale. «Autumn Leaves», que tous les amateurs de jazz ont en tête, fait l'objet d'un subtil travail sur l'harmonie et le rythme. C'est une approche du thème que l'improvisation renouvelle entièrement. Il est donc possible de sonner inattendu sur du connu!

Le répertoire de Jacky Terrasson est remarquable du début à la fin mais c'est la version de « Nantes » qui retient toute notre attention. Sa reprise du succès de Barbara est admirable. Il y a dans son interprétation une profondeur qui donne à chaque note son juste poids. Au piano solo, Jacky Terrasson est à la fois mélodieux, réfléchi, sensible. L’exercice le pousse à céder à sa nature faite de joie de vivre et d’un intense désir de plaire. Il est toujours excitant d’entendre un pianiste de cette stature prendre des risques. Saluons aussi l’efficacité de son jeu ! C’est à la fois une confirmation et le franchissement d’un nouveau palier. Une si belle solitude.

Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux