2024
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2006

Salle des Fêtes
ERIC BIBB
ERIC BIBB
Session de printemps

Alors que le "Folk Revival" du début des années 60 avait servi d'introduction au blues électrique, on assiste depuis quelques années à l'arrivée de nouveaux guitaristes-chanteurs (Keb'Mo', Corey Harris, Alvin "Youngblood" Hart ...) qui remettent le "Folk-Blues" à l'honneur. Eric Bibb s'impose comme l'un des acteurs majeurs de cette nouvelle vague. De tous ces artistes, il est celui qui emporte l'adhésion avec le plus d'aisance tant ses qualités de timbre et de diction sont exceptionnelles. Digne émule de Taj Mahal, il s'inscrit dans l'héritage d'une tradition de "songsters" qui remontent à Henry Thomas, Son House, Skip James et Mississippi John Hurt. Ses disques sont d'une bonne qualité mais c'est véritablement sur scène qu'il donne le meilleur de lui-même. Tous ceux qui ont eu la chance de venir l'écouter ce Samedi 17 Juin à Marciac auront pu, à nouveau, s'en rendre compte.

Certains concerts s'écoutent comme on lit les chapitres d'un roman. Ce soir, la prestation d'Eric Bibb fait penser à un recueil de nouvelles : une suite d'histoires lumineuses ayant pour point commun une même révérence aux couleurs du blues. Ce guitariste délicat s'appuie sur un habillage instrumental à la fois imaginatif et raffiné pour évoquer avec beaucoup de pertinence tous les visages du blues (folk, rock, gospel, ballades, country, zydeco...). Ouvert sur la finesse acoustique, il imagine un univers intimiste où son talent se conjugue dans la petite salle des fêtes de Marciac. Bibb séduit d'emblée par la simplicité trompeuse de ses interventions, par son mélange de vigueur et de délicatesse, par ses mélodies faussement naïves à l'atmosphère magique. Le ton est à la confidence et il le restera à quelques nuances près. Porté par sa formidable capacité à renouveler le langage acoustique du blues, Eric Bibb ouvre les portes de son univers onirique et poétique au public marciacais. Il parvient à fédérer l'ensemble de l'assistance autour de sa conception généreuse et noble de la folk-music. Que ce soit dans l'art de la ballade amoureuse où il excelle (Dance Me To The End Of Love), les tempos plus blues-rock (Right On Time), ou encore le style country-blues (Troubadour), Bibb réinvente simplement la tradition. Chaque note, chaque phrase mélodique, chaque riff de guitare est justifié, utile, efficace.

Lors de ce concert, Eric Bibb se montre particulièrement en symbiose avec son partenaire : Larry Crockett à la batterie. Leur complicité est évidente sur les morceaux d'inspiration religieuse. Tour à tour, ils redonnent vie au vieux prêche "I Heard The Angels Singing" du Révérend Gary Davis. Ils vont jusqu'à insuffler une nouvelle vie au standard "Going Down Slow" de Saint Louis Jimmy. Le duo atteint même des sommets lors d'une version très habitée de "I Want Jesus To Walk With Me". Larry Crockett accompagne Eric Bibb par un subtil mélange de sons toujours harmonieux : rien ne sert à faire joli ou à impressionner. Bibb met ainsi la sobriété d'une musique très acoustique au service d'une réflexion engagée sur notre époque troublée. L'exigence de ses textes militants ("Got To Do Better"), l'aboutissement de ses arrangements qui n'ont de simple que l'apparence, constituent autant d'indices qui ne trompent pas sur la réalité de son talent. Vers la fin du concert, Bibb, nous raconte de drôles d'histoires formidablement mises en scène par un phrasé d'une rare intelligence et des mots souvent justes. Ainsi, sur "Tell Riley" il nous parle de l'arrivée du futur B.B. King chez son cousin Bukka White. Sur "Water Works Fin" il évoque la rédemption d'un alcoolique, avant de conclure par "Champagne Habits", où il s'amuse des travers puérils d'un dandy dépensier.

Eric Bibb nous a proposé une sorte de concert-concept autour de deux thèmes : toutes les musiques du blues et de l'amour. Pour finir, il reprend sans clichés la ballade "A Ship Called Love" où il embarque tout le monde avec lui sur son navire. Cet artistevoyageur joue et partage sa musique avec ses amis de partout et le public, le plus simplement du monde. On assiste alors à une ferveur que l'on a rarement vue à Marciac pour un concert hors-saison, même lors des soirées gospel. Avec un créateur de cet acabit, le blues n'a pas de questions à se poser sur son avenir.

Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux