2024
18 Juillet > 04 Août

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2007

Salle des Fêtes
DAVID SANCHEZ
DAVID SANCHEZ
Session de printemps

Depuis son passage dans le United Nation Orchestra de Dizzie Gillespie, David Sanchez a eu l'occasion d'affirmer sa stature d'instrumentiste puissant et dynamique. Aujourd'hui, il continue de creuser le sillon d'une identité portoricaine non restrictive : il cultive sa différence, au croisement du jazz et des musiques latino-caribéennes. Jusqu'à présent, le saxophoniste est resté fidèle à ce métissage que l'on aime tant chez lui. Entouré de Lage Lund à la guitare, Ben Street à la contrebasse et Adam Cruz à la batterie, David Sanchez propose un subtil dosage de ferveur et de douceur.

Placé symboliquement en ouverture, "Coral" d'Hector Villa-Lobos donne le ton : un jazz influencé par la musique des caraïbes avec des sonorités très urbaines et résolument actuelles. David Sanchez a LE son qui vous enfièvre : un mélange de fermeté et de feeling qui, dans le registre des notes graves de son ténor, évoque parfois John Coltrane ou Sonny Rollins. Il ne cherche pas le phrasé racoleur ou acrobatique, ce qui est très agréable. Sur un répertoire qui mélange des compositions d' Edu Lobo, Hector Villa-Lobos et Eddie Palmieri, David Sanchez montre un lyrisme en parfaite adéquation avec son registre mélodique. Viennent s'ajouter deux compositions originales (Cultural Survival ; The Elements II) où le saxophoniste se démarque par des nuances, des touches de couleurs judicieusement placées, des montées en tension gardées sous contrôle. Mais c'est dans l'association inhabituelle de son ténor avec la guitare de Lage Lund que le groupe fait entendre l'originalité de ce concert : l'écheveau de leurs chassés-croisés contribue à diversifier une musique dans laquelle on ne trouve aucune facilité. La guitare étoffe et colore la texture sonore du groupe et donne une stimulante réplique au ténor. David Sanchez se démarque ainsi de ses influences latines par sa capacité à intégrer d'autres connaissances rythmiques au coeur de son jeu de saxophone. Il y est aidé par le batteur Adam Cruz, le bassiste Ben Street et le guitariste Lage Lund qui tissent en arrière plan un support complexe et foisonnant.

Le deuxième set nous interroge sur la place des origines portoricaines de David Sanchez dans la musique qu'il a adoptée : le jazz ! Ses compositions (Cancion Del Cañaveral ; Archipielago) ne cherchent pas la séduction superficielle, elles expriment ses préoccupations musicales et culturelles. En outre, il a le thème facile et une qualité d'écriture très soignée. Il approfondit la synthèse des rythmes afro-cubains et bop à laquelle il travaille depuis ses débuts. Aujourd'hui, il en découle, dans ses propos, une sincérité et une profondeur remarquable. Avec "Monk's Moods" de Thelonious Monk, le saxophoniste rentre dans le rang du néo-bop standardisé. Pourtant, même là, David Sanchez parvient à nous intéresser : par sa maîtrise technique d'abord et par sa fougue surtout, cet engagement de tous les instants au service d'un lyrisme aux accents très personnels. Le saxophoniste se signale aussi dans ce titre par la grande qualité de sa performance soliste. Reste néanmoins une sensation d'inachevé. On retrouve dans tous les thèmes une complexité rythmique et des couleurs latino-caraïbes qui, ce soir, restent peut-être trop discrètes. Elles ne parviennent pas à faire craqueler le vernis de l'académisme. Contrairement aux prestations précédentes de David Sanchez à Marciac, les musiciens qui l'accompagnent ce soir ne partagent pas tous ses origines latines et c'est sans doute ce qui fait la différence.

Au final, la formation a donné un concert ni tout à fait "bop" ni tout à fait "latìn" mais un concert aux confins des genres qui dépasse rarement le savoir faire et un haut degré de technicité. Mais c'est plus la cohérence du groupe qui est à remettre en cause plutôt que le talent de David Sanchez. L'art du saxophoniste réside dans le fait qu'il maîtrise à tel point les rythmes latins qu'il se balade dans le jazz avec une totale liberté. Ce soir, David Sanchez a semblé être un peu emprisonné par sa propre formation. Quoiqu'il en soit sa prestation est le résultat d'un esprit tourné vers l'approfondissement constant de sa musique. L'empreinte du saxophoniste porte le signe d'une belle maturité qui risque d'atteindre d'ici peu de temps quelques sommets.

Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux