2024
18 Juillet > 04 Août

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2010

Salle des Fêtes
Bernard Lubat
BERNARD LUBAT
Session d'automne

Batteur de Stan Getz, membre du groupe de jazz vocal les « Double Six », multi-instrumentiste tout terrain, compositeur, chanteur, scateur, tchatcheur, Bernard Lubat est un surdoué de la musique ! Au début des années 80, il a déjà abandonné sans regret le système, « parisien », « centralisé », « fermé », « des petits mondes du jazz ». Il est revenu vivre à Uzeste, son village natal où il a créé en 1977 un festival horsnormes. Depuis, l’œuvre de Bernard Lubat a beaucoup évoluée. Le concert de ce soir est le reflet d’une étape importante de cette évolution. Celle où le jazz, même s’il reste omniprésent tout au long du spectacle, n’est plus le seul terrain de créations, d’improvisations et d’actions pluriculturelles.

"On dit de certains qu'ils ne sont pas bien finis. Moi je ne suis pas bien commencé." Et ainsi de suite et en avant la musique ! Un monologue à dix doigts, deux mains et une tête bien pleine qui joue, déjoue et se joue de nous. Quand il est sur scène, c’est tout son univers que Bernard Lubat revisite : du bop de Monk à la chanson française (Les Feuilles Mortes ; Avec Le Temps), de Dizzie Gillespie à la Gascogne (Night in Tunisia en occitan !), de Léo Ferré au hip-hop, du non-sens poétique à l’utopie politique. C’est une fois de plus en solitaire que Bernard Lubat, auteur, compositeur, interprète, construit en deux temps trois mouvements son petit monde enchanté. Les bases de sa démarche, tout à la fois « transartistique », « occitaniste » (sans être régionaliste, ni nationaliste), « localchimisme universaliste », sont clairement posées. Chaque moment de ce spectacle mérite le détour : musiques populaires, textes délirants, engagés et forts, swing, inventivité, chorus d’accordéon, de pianos, de batteries et de percussions en tous genres littéralement renversants. Bernard Lubat nous offre même un magistral blues au piano solo, introspectif, mélancolique et habité, où il nous raconte l’enfant qu’il était.

« L’amusicien d’Uz » (titre de son spectacle) nous livre toutes les facettes du Lubat d’aujourd’hui : le poète, le musicien, le comédien. Il est à la fois multi-instrumentiste et interprète de ses propres textes, empreints d’humour, de poésie et d’allusions politiques, en privilégiant le rapport au public. La scène devient alors un petit cirque, avec instruments, jouets, accessoires et effets de lumière, où Lubat crée un personnage clownesque qui nous transmet sa vision du monde avec swing, délire et causticité. Une synthèse de 2h30 d’un parcours socio-politique-musical complexe et multiforme. On le voit tirer des fléchettes sur des gongs et lancer des balles de ping-pong dans son piano pendant qu’il chante et qu’il joue. Instants comiques voire burlesques mais qui ne nous font pas oublier que Lubat est un musicien hyperdoué (les séquences purement musicales en témoignent de manière indiscutable !). Il plaque sur sa batterie des rythmes « groovy » (le mega-beat de la grosse caisse !), des riffs de claviers ou d’accordéon aux sonorités « vintage » pour servir d’écrin à ses textes tout en virtuosité verbale. Il s’improvise au piano, à la batterie, à la flûte, à l’accordéon, comme avec les mots, de faux départs en vrais élans, de sérieux silences en fous vacarmes. L’adhésion du public est absolue, les rires, chants, cris, répliques, applaudissements fusent sans cesse. Lubat le pousse même, carabine en mains, à imiter le bruit des gouttes d’eau !

Ce spectacle est proprement sidérant d’invention et de fraîcheur. Difficile de résister à l’énergie et au swing qui se dégage de ce « One Jazz Man show », même si certains textes parfois irritent par le jeu de mots systématique. Quoiqu’il en soit, on ne peut qu’apprécier ce spectacle « bricolé » dans l’instant avec la rigueur des grands improvisateurs. Et s’il fait jaser le jazz, s’il dévie les trajectoires bien droites, c’est toujours entre les lignes et les guillemets. Un artiste qui se débat avec lui-même, ça fait un drôle de choc. Brillant et drôle !

Frédéric Gendre
Photo © Michel Laborde