2024
18 Juillet > 04 Août

Archives

2006

Salle des Fêtes
Monty Alexander
MONTY ALEXANDER
Session d'automne

Après un détour par le reggae de sa Jamaïque natale, lors de son dernier concert à Marciac en Août 2005, Monty Alexander revient à l'interprétation de standards et de compositions dont la thématique est assez variée pour mettre en valeur sa vaste palette artistique. Pour ce faire, il revient aussi à la formule classique piano-basse-batterie qu'il affectionne particulièrement, à l'instar d'un Oscar Peterson auquel il fut parfois comparé. Ce samedi 11 novembre, il est accompagné par deux musiciens qu'il connaît de longue date et avec lesquels il a su nouer une véritable complicité. John Clayton à la contrebasse et Jeff Hamilton à la batterie, révélés au grand public pour être les accompagnateurs ô combien talentueux de Diana Krall, forment actuellement l'une des meilleures paires rythmiques de Jazz au monde. Aussi, ils dirigent en commun ce qui se fait de mieux à l'heure actuelle dans le style Big Band. The Clayton-Hamilton Jazz Orchestra figure sur l'excellent dernier album de Diana Krall (From This Moment On, Verve/Universal , 2006) et fut applaudi l'année dernière par les habitués de Marciac. Ce soir, John Clayton et Jeff Hamilton sont, sans nul doute, les partenaires idéaux pour Monty Alexander dans l'art du trio.

Le concert s'ouvre sur la délicieuse introduction de Three Thousand Miles Ago. Dès les premières mesures, on est dans l'ambiance. Le premier volet du concert présente des compositions concentrées de John Clayton (Gina's Groove, Last Stop,...) qui font la place à de savoureux échanges piano-basse dans un premier temps, piano-batterie dans un second temps. Monty Alexander a l'air de s'amuser fraîchement comme il l'avait fait jadis avec ce même trio. Rappelons-nous ce concert à Montreux en 1977 (Montreux Alexander, MPS, 1977) où ces trois musiciens, touchés par la grâce, firent merveille. Les six faces enregistrées sur cet album semblent avoir été écrites pour Monty Alexander et conservent encore aujourd'hui, tout leur pouvoir de séduction. Pour preuve, ce Nite Mist Blues où les jolies variations pianistiques du leader coulent et nous jouent des tours en faisant des clins d'oeil (au hasard, le thème de Brazil repris en plein milieu de son solo). On sait alors pourquoi le public est venu ce soir : écouter une musique "entendue" à l'avance, du blues en arrière fond et une pincée de couleurs caraïbes. Monty Alexander est ostensiblement heureux de faire plaisir à son public à travers un répertoire joué mille fois, qui rappelle évidemment à tous leur incroyable prestation de Montreux, il y a presque trente ans déjà. Jouant de mémoire et sans aucune tension, les artistes s'adonnent à un exercice stylistique très agréable car rien n'est plus communicatif que le plaisir quand il émane de musiciens qui savent repousser la tentation des séductions faciles.

Le second volet permet aux protagonistes de prendre davantage leur temps. Monty Alexander fait durer le plaisir sur les compositions de Jeff Hamilton (Long John, Max,...) tandis que John Clayton imagine de somptueux développements sur Time Passes On. Quant au batteur, il est au meilleur de sa forme dans Battle Hymn Of The Republic. Les trois hommes improvisent avec élégance, au diapason de leur commune inspiration. Ainsi construites, les deux parties du concert sont intelligemment complémentaires. Monty Alexander sait s'approprier tout ce qu'il touche, passant sans faiblir du standard Drown In My Own Tears à l'original The River. Il est en cela merveilleusement entouré par une rythmique qui met un savoir faire très complet au service du swing et de l'imagination. John Clayton, outre ses qualités d'accompagnateur (clarté et souplesse des lignes de basse), fait scintiller ses dons de soliste inspiré, créant avec un son velouté et puissant, des phrases d'une beauté mélodique, notamment lorsqu'il utilise son archet. Et comment rester de glace pendant le dialogue qui s'installe entre Jeff Hamilton et Monty Alexander durant un Work Song irrésistible? Conduite à la batterie avec un punch et une régularité quasi métronomique, l'exécution de ce titre soulève un irrépressible enthousiasme. Imagination fertile, sens de l'harmonie, capacité à swinguer sans relâche, autant de qualités qui font de Monty Alexander un improvisateur d'exception. Ces atouts ne lui font pas pour autant oublier son passé. Ses souvenirs liés à la Jamaïque, il les exprime à la fin du concert sur Reggaelator. Son piano trouve alors les justes couleurs des îles Caraïbes pour chanter et danser.

La malice du pianiste jamaïcain nous offre un pur jeu de séductions douces et denses : énorme sensibilité sur les ballades au lyrisme contenu et Calypso flamboyant en guise de relance. Stimulé par l'excellent John Clayton à la contrebasse et un Jeff Hamilton très en verve à la batterie, le monument Monty Alexander se fait plaisir. Ses improvisations pimentées de citations bien venues marquent au fer rouge sa souveraine facilitée dans les climats les plus divers. Mais il donne réellement libre cours à son exubérance coutumière sur des compositions fortement marquées par les accents de son île natale. La matière et la manière de ce pianiste procèdent d'un tempérament extraverti qui a une fois de plus séduit ses inconditionnels pour faire le plein de la salle : The Full Monty !?

Frédéric Gendre
Photo © Pierre Vignaux